dimanche 17 août 2014

Un journal de vacances

Samedi
Après la route ,les heures dans la voiture, les enfants excités, moi épuisée ,on est arrivé ici. On sent l'air  de l'océan et un lapin vient de traverser le jardin. 

Lundi
Ça s'appelle comment quand même ce qui devrait te faire du bien ne te fait rien? 
Est ce que je devrais être heureuse d'être ici ? Toujours aussi seule . Mais seule avec eux, dont le quotidien prend toute la place . Pas seule avec mes pensées, non. Pas seule pour m'occuper de moi . Seule avec des choses à faire , des enfants à satisfaire. 
[Autant dire mission impossible ....]
Est-ce que je suis heureuse de les voir s'amuser quelques minutes dans l'eau entre deux disputes ? Ou est-ce que je suis seulement soulagée qu'ils ne me sollicitent pas pour jouer les arbitres ? 

Finalement ils finissent toujours par se rabibocher, s'occuper un moment. J'imagine que je suis contente puisque le calme est revenu. Que j essaie de me contenter de ça faute de me contenter moi même. Déjà , il m'a fallu tout ce temps pour cohabiter avec moi même . 
Tout ce temps pour intégrer qu'on ne sera jamais plus tous les 5. Que je ne peux plus rien partager avec toi. 
J'ai compris même si ça me rend dingue. Je sais. Et souvent j 'ai peur. 
Parfois je t'envoie une photo d'eux pour te dire que tout va bien, qu'ils ont du bon temps - ou bien c'est pour m'en convaincre? Pour garder un lien? Parfois tu ne me réponds pas. Je n'attends plus rien. 
Ça me manque de ne plus pouvoir te parler , de tout et de rien . Ça me manque de ne pas avoir une conversation adulte pendant que mes enfants s'occupent . Ça me manque de ne jamais rien partager avec personne , même pas un verre le soir sous les étoiles quand ils sont tous endormis, même pas un café au petit matin.  

Mardi
Je me lève : c'est le 3ème jour. La cuisine est en désordre , pleine de la vie de nos petites vacances, pêle-mêle sur la table les chandelles , des lunettes de soleil, des morceaux de coquillages, un couteau, un porte clé. Le café coule , le lapin passe dans le jardin c'est son heure. 
C'est une tranquillité apparente , mais un peu éteinte qui me colle au corps . 
Je m'efforce de faire des plans pour la journée.

***
Le soir c'est un peu pareil mais à l'envers : l'ambiance tourne au vinaigre comme toujours . Ils se disputent , comme toujours . La seule différence c'est que nous, on ne se dispute plus à cause de leurs disputes. Pourtant j'ai l'impression de l'avoir remplie cette journée là. 
Je m'énerve comme avant , mais toute seule . J'écourte les projets du soir , range toute la cuisine en claquant les portes pendant qu'ils ronchonnent chacun leur tour . Ma colère rebondit , puis retombe , comme toujours . Vaine. 
Après que le calme soit revenu ,que tout le monde se soit vaguement réconcilié,  je me vois ici , sans aucune indulgence:  assise dans ce canapé démodé et un peu enfoncé, dans ce bungalow vieillot qui était sans doute trop cher pour moi, avec les serviettes de plage qui sèchent sur les chaises . Je vois mes yeux toujours un peu cernés , ma peau irritée , qui démange , qui dérange. Je vois cette fille incertaine que je n'aime pas . Ce personnage que je n'ai jamais voulu jouer . Paumée , désœuvrée. En vacances donc . 
Par le carreau de la porte d entrée , la "super lune" d'il y a 2 jours me fixe , presque narquoise. J'entends simultanément le chant des grillons et le bruit régulier de l'horloge . 
Le vent s'est levé , demain il doit y avoir des averses . 
***
J'écris a mon petit frère qui a 20 ans aujourd'hui. Je me sens  un peu vieille . 
Il y a 20 ans , j'étais amoureuse de P. mais je n'osais pas l'avouer . Ni à moi et encore moins à lui . Il y a 20 ans , je passais des heures avec ce garçon si secret , si singulier , incrédule  de la proximité qu'on pouvait avoir . Il y a 20 ans je ne connaissais rien , je ne savais pas que rien ne dure . 

Mercredi 
Le vent . La pluie . Les entrailles nouées. "Qu'est ce qu'on fait maman ? Y a rien à faire . "
On fait des tours en voiture . On brûle du gaz . 
Comme prévu je suis tombée malade : y a même plus de surprise , je sais bien que le corps lâche quand je lui laisse un peu de temps libre .
Je suis garée devant le panneau Seaview street . La pluie ruisselle sur la voiture . J'ai froid . 
Il paraît que demain il va faire beau. 
Je pense tout le temps à toi ; soit parce que tu n'es pas la , soit parce que je ne te comprends pas , soit parce que je t'en veux . Peu importe la raison, je pense à toi parce que tu devais toujours être là pour moi et que je n'arrive pas à me résoudre à ce que tu ne sois plus là. 

** déceptions
Je me suis laissé croire que j 'en avais besoin de cette semaine à la mer avec eux. Que ça nous ferait du bien de partir ensemble , d'essayer de reformer une équipe après cette année bousculée. Mais ça ne marche pas si bien.

Je suis revenue ici par ce que j'avais trouve ça beau . Honnêtement , je ne réussis même pas à convoquer les sensations d' il y a 2 ans ; les souvenirs semblent s'emmurer chaque fois un peu plus en moi. Je ne me dis même pas que c'était mieux d'y être avec toi . Sans doute étais-tu déjà un peu absent cet été là . Et c'était mon idée .
L'endroit est toujours beau , mais ne m'exalte  plus . Ce qui n'est pas partagé perd beaucoup de sa saveur . 
La beauté des lieux à vrai dire , les enfants n'en ont pas grand chose à faire . Ça ne change rien à leur quotidien de fratrie , parsemé de disputes sans fin et de bêtises plus ou moins partagées . Je ne sais même pas s'ils en garderont un bon souvenir.
Moi non plus probablement... Les premières vacances seule avec eux ... c'est un peu changer le mal de place.

Jeudi 
Retour du beau temps . 
Les gars ont trouvé un nouveau  jeu qui consiste à s'enfermer dans la voiture et s'y installer comme si c'était leur chambre . 
J'aimerais marcher longtemps sur les plages , passer de l 'une à l'autre, mais je reste ici sous l'arbre en face de la voiture avec un polar et un café refroidi. 
le 5ème jour c'est aussi le retour de l'allergie au soleil. Maudite peau. Ma peau me hait , et je lui rends bien.
**
Les choses s'arrangent mais ça ne va pas mieux. 
Coucher du soleil incroyable sur la plage : j'aurais pu y rester encore, jusqu'au crépuscule, mais ma petite tribu ne l'entend pas de cette oreille. 
Le vent , les vagues, les pieds dans l'eau . Je pourrais me soigner juste avec ça . Mais le quotidien est tout autre .... Dans la vie du quotidien pas de place pour rêvasser les pieds dans l'eau. Je devrais le savoir pourtant. Je devrais aussi savoir que ça m'a tenue en seul morceau jusqu'ici .

Vendredi
Dernier jour avant le retour. L'accident stupide . La clinique en urgence , plus de peur que de mal . Les nerfs en compote . Ces moments que je déteste par dessus tout , où je ne peux me reposer sur personne. La crème glacée sur le parking , pour se remonter le moral, les préparatifs pour rentrer. Ranger, ramasser , prévoir . Penser aux longues heures de voiture qui nous attendent . 
C'est déjà la fin . Je me demande si ces vacances ont tenu leurs promesses? Mais lesquelles finalement? 
Entre le supermarché et la pharmacie , un arrêt à la plage , un autre coucher de soleil. Quelques minutes les pieds dans l'eau et le vent qui fait frissonner .  
Se dire que juste  pour ça , j'ai bien fait de venir ici. 

Samedi , jour de route . 
Les heures dans les embouteillages à rouler au ralenti . Les bagarres dans la voitures . Trop de bonbons avalés tout le long du trajet . 
Le ciel se couvre à mesure qu'on traverse les états . Dans le Vermont il pleut , arrivés au Canada des trombes d'eau nous accueillent à Montréal. 
La vue de la ville que j'adore , quand on arrive du pont Champlain : c'est comme une carte postale : le centre ville devant le Mont-Royal, le fleuve à ses pieds. Mais ce soir je regarde la route car personne d'autre ne conduit , et la carte postale est plongée dans la pénombre et le déluge. 
Je suis quand même contente de rentrer chez moi . 
Je suis quand même contente d'avoir vu la mer.
J'espère que eux aussi.

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